Purba marche à une vitesse impressionnante tout en tirant sur sa cigarette à grandes bouffées. Je n’arrive pas à le suivre. Les yaks sont partis beaucoup plus hauts que d’habitude. Purba a pris de l’avance dans la montée pour rattraper les chauri les plus éloignées. Soudain, j’entends rouler une pierre dans mon dos. Je me retourne, persuadé qu’il s’agit d’une chauri que je n’aurais pas vue. La panthère. Elle est là, face à moi. À peine une dizaine de mètres nous sépare. Immobile, la patte avant levée, elle me fixe de ses grands yeux jaunes. Seuls quelques graviers poursuivent leur course, attirés par la gravité, trahissant son mouvement précédent.
Je suis médusé. Son pelage et les contours de sa bouche sont rouges, plusieurs poils collés par le sang coagulé. Sa robe se confond avec la pierre. Elle découvre ses dents, la tête basse, la queue tendue vers l’arrière, les griffes crissant sur les cailloux. Sa posture tient en une ligne droite parallèle à la pente. Je reprends mes esprits et tente de saisir très doucement l’appareil photo qui pend à mon cou, mais avant même d’avoir placé l’œil dans le viseur, la panthère a disparu. Je cours jusqu’au premier point de vue : plus aucune trace de sa présence. Le rêve n’a duré que quelques secondes. Je reviens sur mes pas pour identifier ses empreintes sur la pente, afin de vérifier que je n’ai pas été le jouet d’une vision onirique. Ses traces sont bel et bien là. Sans parler du jeune yak dont elle se délectait avant notre arrivée. Couché, il semble encore vivant. Je voudrais chercher la panthère, mais je dois rejoindre Purba, seul avec le troupeau. Cet instant fugace est l’aboutissement de treize mois de recherche désespérée. J’exulte de joie, tout en m’inquiétant pour le reste du troupeau. Je crie à Purba : «Bacca moryo! Bhag ihin thyo!» («Un petit est mort! La panthère était là!»). Il ne veut pas me croire. Il est passé devant sans la voir. Je cours sur le chemin escarpé pour le rejoindre, mon cœur bat si fort que j’en oublie l’altitude, mon souffle court, la raideur de la pente.










